[Cas par cas #7] « Chopard by Hylink » : quand l’intelligence artificielle facilite l’apprentissage du marketing
Marie-Cécile Cervellon et Loick Menvielle sont professeurs à l’EDHEC Business School. Ils ont conçu, en collaboration avec l’équipe pédagogique d’EDHEC Online, une plateforme d’apprentissage en ligne dotée d’un agent conversationnel (chatbot) expert en marketing, avec l’idée d’aider les étudiants à mieux en appréhender les concepts. Dans cette interview à deux voix, ils présentent cette innovation labellisée par la FNEGE (1), et récompensée en 2023 par la médaille d’or au prestigieux Learning Design Innovation Award décerné par FOME (2), devant l'Imperial Collège London et l'ESMT Berlin.
Les plateformes d'apprentissage numérique existent maintenant depuis plusieurs années. Qu’apporte le dispositif que vous avez développé ?
Marie-Cécile Cervellon : Cette plateforme en ligne est dédiée à l’apprentissage des notions de marketing de manière autonome, c’est-à-dire sans intervention humaine constante. C’est un parcours interactif organisé en modules progressifs, qui centralise des ressources (3) et des activités pédagogiques sous forme de mise en situation et de QCM d’auto-évaluation. Le dispositif complète la lecture du cas, sans s’y substituer. Son originalité ? La plateforme intègre un compagnon virtuel nommé « John » qui est capable de guider, d'assister, et d'interagir avec l'apprenant grâce à l’intelligence artificielle. Basé sur CustomGPT, un modèle d’intelligence artificielle que nous avons « nourri » d’articles scientifiques, ce chatbot est entraîné pour répondre aux questions des apprenants sur les concepts de marque, de communication et de marketing d’influence.
Loick Menvielle : L’autonomie est au cœur de cette plateforme enrichie. On y accède quand on veut, d’où on veut, depuis n’importe quel appareil connecté à Internet. Et à son rythme ! Cette tendance ATAWAD (Any Time Any Where Any Device) (4) offre une souplesse qui séduit notamment les étudiants des générations Y et Z ! Le parcours peut d’ailleurs être utilisé en format hybride ou 100 % présentiel ou 100 % distanciel. La plateforme peut tout à fait servir à préparer l’étude de cas en amont du cours. A travers les quiz, elle peut aussi s’envisager en tant qu’évaluation intermédiaire. Elle laisse aux enseignants comme aux étudiants la liberté de s’organiser à leur guise.
En quoi un chatbot intégré à la plateforme d’apprentissage est-il un plus pour les étudiants ?
Loick Menvielle : « John », l’assistant virtuel intégré à la plateforme, enrichit l'expérience éducative à travers un accompagnement personnalisé, instantané et disponible 24/7. C’est une évolution significative dans la manière d’enseigner, qui s’appuie sur les recherches les plus récentes en sciences de l’éducation.
D’abord, l’agent conversationnel offre un apprentissage flexible, qui s’adapte au rythme et aux disponibilités de chaque étudiant. À tout moment, ce compagnon virtuel peut proposer des ressources, apporter des informations supplémentaires et clarifier certaines notions, comme le ferait un formateur en salle de cours. Ensuite, l'interaction avec le chatbot peut rendre l'apprentissage plus interactif et plus engageant (5). Avoir un compagnon disponible à tout moment pour aider à surmonter les difficultés rencontrées, cela contribue à maintenir la motivation et l’engagement dans la formation, surtout à distance !
Marie-Cécile Cervellon : En outre, il repousse les limites de la personnalisation de l'apprentissage pour répondre à la diversité des profils d'apprenants et aux différentes façons d’intégrer les savoirs. Grâce à l'intelligence artificielle, l’agent conversationnel analyse les réponses et les interactions des utilisateurs pour adapter le contenu pédagogique à leurs besoins spécifiques. « John » fournit aux étudiants un retour immédiat sur leurs performances et adapte le parcours d'apprentissage en temps réel (adaptive learning). Ce feedback instantané permet à l’apprenant de comprendre ses erreurs et de les corriger rapidement. Utile pour mieux mémoriser les connaissances tout en renforçant son autonomie.
Comment les étudiants accueillent-ils ce mode d’accompagnement pédagogique ?
Loick Menvielle : Nous avons demandé à 120 étudiants en Communication digitale et en Marketing du Luxe de tester la plateforme à travers le cas « Chopard by Hylink », en cours ou en distanciel. Les retours sont très positifs. Les étudiants-testeurs mettent en avant un réel plaisir à utiliser la plateforme dans le cadre de leur formation. La diversité des contenus proposés, l’interactivité et la flexibilité dans le rythme d’apprentissage séduisent ces nouvelles générations d’apprenants. Ils plébiscitent aussi la possibilité de s’auto-évaluer via des quizz, qui aident à comprendre les concepts-clé et à les mémoriser.
Marie-Cécile Cervellon : Les étudiants soulignent que la plateforme d’apprentissage associée à un chatbot offre un moyen d'accès à la connaissance plus inclusif. Comme il est flexible et capable de s’adapter aux besoins spécifiques de chacun, le dispositif permet d’apprendre à son rythme et contribue à réduire des inégalités entre apprenants, notamment ceux atteints d’un handicap d’apprentissage comme la dyslexie (6).
Loick Menvielle : Dans l’ensemble, les apprenants jugent ce type d’approche plus dynamique que la lecture d’un cas « papier ». Nombre d’entre eux recommanderaient cette façon d’apprendre à leurs pairs.
Alors les études de cas au format « papier », c’est terminé ?
Marie-Cécile Cervellon : Non, bien sûr ! Cependant, la plateforme d’apprentissage numérique assortie d’un assistant virtuel est une évolution logique dans l'acquisition de compétences qui sont clés aujourd’hui : littératie numérique, capacité à interagir avec l’IA, autogestion. Mais c’est loin d’être son seul apport. De notre expérience, la préparation en amont, via la plateforme numérique, permet une analyse plus profonde et nuancée des données du cas. Après avoir préparé le cas en ligne à travers des activités interactives, les discussions en groupe se révèlent beaucoup plus riches et constructives. Les concepts ayant été efficacement assimilés au préalable, les échanges en classe se concentrent davantage sur l'élaboration de recommandations stratégiques. Les propositions concrètes qui ressortent de ces débats reflètent une compréhension globale et appliquée des enjeux du marketing.
Loick Menvielle : J’ajouterais que non seulement cette méthodologie d'apprentissage facilite l’assimilation des concepts théoriques, mais elle contribue aussi grandement à l'application pratique et réfléchie de ces connaissances dans des contextes professionnels réels.
Vous avez présenté la plateforme en intégrant le cas d’étude « Chopard by Hylink ». Quelles leçons spécifiques les étudiants peuvent-ils en tirer sur le marketing d’aujourd’hui ?
Marie-Cécile Cervellon : L’exemple du cas « Chopard » détaille la stratégie de la 1ère agence de communication digitale de Chine, Hylink, pour asseoir la maison suisse d’horlogerie et joaillerie Chopard sur le marché du luxe chinois. Ce cas se prête particulièrement bien à l’apprentissage par étapes du marketing d’influence. En particulier, il est pertinent pour faire réfléchir les étudiants sur l’écosystème des réseaux sociaux propres à la Chine et sur les spécificités de l’influence marketing dans ce pays. Ici, l’objectif pédagogique est d’apprendre à construire un plan de communication numérique, d’analyser la marque, son storytelling, de choisir les canaux et les influenceurs, et enfin d’analyser les métriques.
Loick Menvielle : A cette fin, la plateforme numérique inclut des vidéos de présentation du cas étudié, complémentaires au support écrit, ainsi que de courts entretiens témoignages filmés, comme celui de la Directrice commerciale d’Hylink et alumna EDHEC, Estelle Li. Ces entretiens apportent un éclairage sur le contexte du cas et aident à la mise en situation. Bien sûr, les quiz autoévalués permettent à l’apprenant de vérifier l’acquisition des connaissances au fur et à mesure de son parcours. « John » l’assistant virtuel est là pour l’aider à tout moment. Il ne répond pas aux questions des quiz, mais permet d’apporter des précisions supplémentaires sur Hylink, ou bien sur les notions d’identité de marque ou de brand content, par exemple.
Quels avantages les enseignants peuvent-ils retirer de ce dispositif ?
Loick Menvielle : Nous avons conçu ce dispositif pour aider à l’enseignement des grands concepts du marketing, du branding et de la communication, mais il est tout à fait utilisable dans d’autres domaines du marketing ! La plateforme permet d’adapter le contenu pédagogique et les parcours d'apprentissage pour les faire correspondre aux besoins, aux compétences, et aux intérêts individuels de chaque apprenant.
Marie-Cécile Cervellon : L’enseignant ou le formateur peut ainsi tout à fait « zapper » certains modules déjà assimilés par les apprenants, ou que l’enseignant juge non-pertinents à ce moment de la formation (7). La plateforme génère en outre des données analytiques qui aident à suivre les progrès, ce qui permet d’ajuster les interventions pédagogiques de manière proactive. Associé aux activités interactives et au chatbot expert, l’enseignement offert est au final plus personnalisé, plus différencié et donc plus motivant… mais dans une version plus complète où il retrouve l’ensemble du matériel pédagogique ainsi que des ressources complémentaires, comme des notes pédagogiques et des diapositives d’aide au debriefing.
Références
(1) Fédération Nationale pour l'Enseignement de la Gestion des Entreprises - https://www.fnege.org/
(2) FOME, Future of Management Education. Le prix de l’alliance FOME récompense chaque année les innovations pédagogiques majeures à l’ère du numérique. Pour accéder à l'article dédié aux prix 2023 : suivre ce lien
(3) Vidéos de présentation du cas étudié, témoignages filmés, infographies, documents...
(4) Sur ce sujet, lire par exemple Le Journal du net "Any Where, Any Time, Any Device : un enjeu majeur pour le SI des entreprises" (2013)
(5) Un étudiant a indiqué, par exemple, que cet outil est "[...] dynamique, et le fait d'avoir autant de vidéos et de quiz nous permet d'avoir plus d'informations sur le cas. C'est également amusant à faire. Personnellement, le fait que ce soit visuel et interactif m'aide à mieux mémoriser, et les exemples et les quiz m'aident également à comprendre".
(6) Can ChatGPT empower people with dyslexia? Bhuvan Botchu, Karthikeyan Iyengar & Rajesh Botchu. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37697967/
(7) Un professeur a souligné le faire que "L’idée, la construction et la structuration du cas sont top. Cas très intéressant. L’idée d’y intégrer John correspond bien aux « besoins » actuels. Je lui ai posé de nombreuses questions, c’est assez bluffant !"